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Collection Paul Le Goupil : la mémoire de la déportation
Le 10/09/2021 par Audrey Frémond-Maillard
Paul Le Goupil mérite ce qualificatif de " gardien de notre histoire ", puisqu'il a réuni près d'un millier d'ouvrages qui traitent de la déportation pendant la seconde guerre mondiale. Pourquoi une telle collection ? Pour sa quête du savoir mais aussi pour l'aider à témoigner de ce que lui et tant d'autres ont vécu.
La seconde guerre mondiale, l’occupation allemande. Paul Le Goupil, jeune instituteur rouennais, n’accepte pas cette présence sur le sol français et cherche à s’engager dans la Résistance. Contacté par un réseau communiste, il s’occupe dans un premier temps des distributions de tracts et devient ensuite responsable départemental du Front patriotique de la Jeunesse. En août 1943, alors qu’il est hébergé chez l’abbé Kerevel à Montville, membre d’un autre réseau, il est dénoncé puis arrêté. Emprisonné, torturé, il est finalement déporté successivement à Auschwitz, Buchenwald et enfin au Kommando de Langenstein. Il parvient à s’échapper lors de l’évacuation du camp et de la tragique « Marche de la mort » en avril 1945. Il revient chez lui en Normandie et poursuit sa carrière d’instituteur à Valcanville dans la Manche.
La recherche du savoir
À son retour des camps, Paul Le Goupil s’exprime peu sur ce qu’il a vécu. Néanmoins il intègre très vite les associations d’anciens déportés. En 1962 il publie un premier ouvrage sur sa déportation, rédigé à partir de notes qu’il avait écrites à son retour. La route des crématoires[1], tiré à 500 exemplaires, se vend très bien.
À sa retraite, en 1978, libéré des contraintes professionnelles, il dispose de temps et se penche sur son passé. Il commence alors à collecter tous les ouvrages qu’il est en mesure d’acquérir : chez les bouquinistes, à l’aide de catalogues et bien plus tard au moyen d’internet. Son but ? Disposer dans un premier temps d’écrits sur les lieux vers lesquels il a été déporté. Puis, au fur et à mesure, il étend le choix de ses lectures au sujet concentrationnaire et tout ce qui s’y rapporte.
Transparence, rigueur intellectuelle et historique sont ses mots d’ordre. Il réalise des fiches pour chaque témoignage afin de croiser les informations et indiquer la véracité des propos. Il n’apprécie guère les surenchères d’horreurs qui y sont exprimées. Selon lui, la réalité de la vie dans les camps était assez terrible pour ne pas à avoir à renchérir, cela ne faisant qu’ajouter des pierres à l’édifice des négationnistes.
Témoigner, transmettre, débattre
Celui qui aurait voulu être journaliste désire partager ses connaissances. Paul Le Goupil témoigne donc dans les établissements scolaires pour expliquer la déportation aux autres générations.
Dans cette dynamique de transmission, il écrit. En 1991 paraît Un Normand dans… : itinéraire d’une guerre, 1939-1945 qui sera également publié en allemand. Il rédige aussi des articles et contribue à des ouvrages comme le Mémorial des français déportés au camp de Langenstein-Zwieberge, Kommando de Buchenwald en 1998 puis l’année suivante le Mémorial des français non-juifs déportés à Auschwitz, Birkenau et Monowitz : ces 4500 tatoués oubliés de l'histoire co-écrit avec Henri Clogenson.
Passionné, il aime les débats et surtout ceux dans lesquels il faut argumenter. À cet effet, il peut compter sur la diversité de ses sources, le respect de méthodes de travail rigoureuses. Son impartialité, sa méfiance envers l’instrumentalisation de la déportation et de la Résistance lui valent quelques déboires avec certains membres des associations d’anciens déportés au sujet de la question mémorielle.
Paul Le Goupil s’éteint en 2017 à l’âge de 95 ans. À la fin de sa vie, il confie à son fils son appréhension : malgré les témoignages, les livres, les reportages, les commémorations, tout pourrait recommencer. Il nous laisse sa collection, témoin de périodes tragiques de l’histoire et quelques mots d’un ouvrage de son ami Roger Leroyer :
« Un témoignage de plus ne pouvait que contribuer à construire un rempart de notre mémoire à tous, pour protéger les générations à venir contre ce que les hommes sont capables de faire à l’Homme[2] »

Collection Paul Le Goupil
Une grande diversité d’ouvrages
Venant enrichir la collection de la bibliothèque des archives départementales de la Manche dont une partie est consacrée à la seconde guerre mondiale, la collection Paul Le Goupil brille par sa diversité. Le fonds regroupe des témoignages en français, en allemand, en anglais, d’hommes, de femmes, d’enfants rescapés des camps, d’illustres ou d’anonymes, de juifs, de résistants, de prêtres, d’espions. Sur ces étagères sont également posées les paroles de personnes que l’on « entend » rarement telles celles des homosexuels déportés, des Allemands internés dans les camps dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir, ou encore les hommes et les femmes partis au STO. Les récits des bourreaux ne sont pas ignorés : commandants de camps, dignitaires nazis, soldats des Einsatzgruppen, y sont aussi présents.
Les témoignages représentent une grande partie de sa collection. En majorité écrits par des hommes, ils ont été essentiellement publiés sur deux périodes : une première vague à la fin de la guerre avec des témoignages bruts, qui révèlent un besoin de parler, telle une thérapie. Une seconde se produit autour des années 2000 : dans la plupart des cas leurs auteurs expliquent qu’ils ont senti que le temps était venu de se livrer, pensant souvent à leurs petits-enfants. Ces témoignages sont plus introspectifs et pour certains constituent une réflexion sur le sujet de la mémoire collective et individuelle.
Si Paul Le Goupil s’intéresse aux personnes, les lieux de déportation attirent aussi son attention. Sur ce sujet également, il recherche l’exhaustivité et ce, sur différentes périodes de l’histoire : camps dans lesquels étaient détenus les Boers, goulags soviétiques, et la plupart des camps nazis. Ainsi il est possible de consulter divers ouvrages sur le camp d’Aurigny dans les îles anglo-normandes.
Ce travail de recherche et de collecte se veut impartial et de fait, Paul Le Goupil n’élimine aucune publication pour constituer sa documentation : des revues nazies contemporaines de la seconde guerre mondiale, des livres antisémites français, des ouvrages parus sous le régime de Vichy réunissant les discours de Philippe Henriot, des livres et revues négationnistes. Paul Le Goupil veut tout savoir.
Les ouvrages scientifiques abondent et traitent aussi bien de l’univers concentrationnaire que de la Résistance, de l’Occupation, de la mémoire collective ou individuelle, de la Libération, de la traque des nazis après-guerre, de l’épuration, ou encore de l’éthique en médecine. À cela il faut ajouter des bande-dessinées, des romans, des biographies, des albums. Plus surprenant, cette collection propose également des guides explicatifs pour visiter les camps de concentration que Paul Le Goupil a achetés lors de ses voyages en Allemagne et en Pologne sur les traces de sa déportation.
Cette collection relate des faits douloureux, inhumains. Néanmoins certains livres sont émouvants, comme ce recueil de poèmes écrits à Buchenwald[3] ou ce témoignage[4] d’un déporté à Auschwitz qui tombe amoureux d’une autre déportée. Il accomplit l’impossible : s’évader avec celle qu’il aime. Quelques auteurs ont fait le choix de ne pas juste décrire l’horreur des camps mais aussi leur reconstruction, leur retour à un quotidien normal plus ou moins difficile et les surprises que la vie réserve : comme cet homme[5] venu témoigner dans un lycée qui se retrouve, par hasard, face à la petite-fille de la personne qui l’a caché pendant quelques temps. La jeune fille fait le rapprochement avec le récit de ses grands-parents. Quelques jours plus tard, elle les réunit, près de quarante ans après leur séparation.
Statistiques réalisées à partir d’un échantillon d’un tiers de la bibliothèque de Paul Le Goupil.
Pour aller plus loin
Archives privées
- Fonds Marcel Leclerc, 129 J
Archives publiques
- Comité d'histoire de la Libération, correspondance entre le préfet et les maires au sujet du questionnaire sur l'Occupation et la Libération dans le département, statistiques sur la déportation, correspondance, 1310 W 252, Service du cabinet du préfet, 1947-1973.
- Assistance aux prisonniers de guerre, déportés et réfugiés, 1310 W 115, Service du cabinet du préfet, 1944-1946
Archives sonores
- L’abbé Daligault, l’art dans les camps de concentration, 99 AV 538
- Récit de vie sous l’occupation, pendant l’exode et après la guerre, 99 AV 1236-2/6
- La déportation : témoignages et itinéraires de déportés (1942-1945), 99 AV 1141, fonds Frémeaux et Associés, 1942-1945
- Le camp de concentration d’Aurigny, 99 AV 1256
- Parcours d'une résistante : du réseau Interallié au camp de Ravensbrück [témoignage de Jeanne Ferres-Frigout]], 99 AV 1161 1-2
- La production artistique et littéraire des femmes déportées à Ravensbrück [témoignage de Jeanne Ferres-Frigout], 99 AV 1418 1-22
- Récit de vie d’Antoinette 1 (1916-1975). Plage 13 : les drames liés à la déportation, 251 AV 17-1/13
- La déportation de son père [témoignage de Norbert Prioul], 283 AV
- Témoignage d’un requis au Service du travail obligatoire [témoignage d’Albert Delauney]. Plage 5 : Informé sur les camps de déportation qu'en 1942. Il n'a pas été témoin d'acte de résistance, 321 AV 11/5
- Témoignage d’un requis au STO. Plage 21 : Puis transportés en train jusqu'à une base aérienne où ils voient les premiers survivants des camps de déportation à qui on donne les colis américains. Retour en France via Valenciennes, 321 AV 28/21.
- Témoignage d’un prisonnier de guerre allemand de la seconde guerre mondiale. Plage 9 : Arrivés à Aix-en-Provence vers le 10 avril 45 et transférés au camp des Milles, un camp d'internement et de déportation français, puis à Callas au camp américain 404, 321 AV 24/9.
- Fonds Fernand Morin, déportation à Buchenwald, 338 AV
- Témoignage sur la déportation [témoignage de Paul Le Goupil], 356 AV 1-17
Bibliothèque
- Le Goupil, Paul, Un Normand dans… : itinéraire d’une guerre, 1939-1945, Paris, Tirésias, 1991, 273 p.
- Leclerc, Marcel, Souvenirs de ma déportation en Allemagne : 1943-1945, [Cherbourg], [M. Leclerc], [1970], 91 p.
- Lecouturier, Yves, Shoah en Normandie : 1940-1944, Le Coudray-Macouard, Cheminements, 2004, 285 p.
- Luc, Benoît, Les déportés de France vers Aurigny, 1942-1944, Marigny, Eurocibles, 2010, 288 p., (Inédits et introuvables).
- Vigla, Jean-Louis, Évadés d’Aurigny : hiver 1942-1943, Cherbourg, Isoète, 1995, 188 p.
- Vigla, Jean-Louis, Histoire d’un camp nazi : l’île d’Aurigny (Alderney), Saint-Cyr-sur-Loire, A. Sutton, 2002, 95 p.
Expositions virtuelles
- Archives départementales, Maison de l’histoire de la Manche, Les juifs de la Manche sous l’Occupation, 1940-1944.
Autres sources
- Jérémie Halais, Situation des travailleurs de l'île d'Aurigny, 7 février 1944
- Service éducatif des Archives de la Manche, Renseignements recueillis auprès d'une rapatriée du camp de Ravensbrück (Cherbourg, 13 juillet 1945)
[1] Une deuxième édition de La route des crématoires paraît en 1983.
[2] Leroyer, Roger, Clamavi ad te…, Cestas, [s.n.], 1996, 96 p.
[3] Verdet, André, Anthologie des poèmes de Buchenwald, Paris, Éd. Tirésias, 1995, 152 p.
[4] Thielke, Thilo, Un amour à Auschwitz, Paris, J.C. Lattès, 2002, 269 p.
[5] Sobol, Paul, Je me souviens d'Auschwitz… : de l'étoile de shérif à la croix de vie, Bruxelles, Racine, 217 p.
Période : Seconde guerre mondiale (1939-1945)